Histoire de Saint-Thomas

Saint Thomas et l'histoire du protestantisme alsacien

L'histoire de l'église Saint-Thomas est intimement liée à l'histoire culturelle, politique, religieuse de la région.

Les débuts de l'église

Un premier bâtiment était établi sur le site dès le début du 6e siècle, dédié à l’un des douze apôtres, Saint Thomas (connu surtout parce qu’il douta de la réalité de la résurrection du Christ). Saint Florent, évêque de Strasbourg, mort en 693, fut enterré à cet endroit. L’évêque Adeloch entreprit une reconstruction en vers 820 et fut également le fondateur d’une première école liée Saint-Thomas. Cet évêque fut très généreux pour Saint -Thomas. Dès lors, les biens de ce haut lieu spirituel furent administrés par un Chapitre, chargé de faire fructifier les biens considérables donnés ou légués par des fidèles. Les religieux de Saint-Thomas manifestèrent leur reconnaissance à Adeloch en faisant confectionner (vers 1130) un magnifique sarcophage, chef d’oeuvre de la sculpture romane en Alsace. On peut l’admirer dans la partie Sud-Est de l’église. En 1007, le tiers des immeubles strasbourgeois fut la victime des flammes, dont la cathédrale et Saint-Thomas. En 1144, la foudre tomba sur Saint-Thomas, qui brûla une fois de plus entièrement. En 1196, la reconstruction fut entreprise dans la forme actuelle. Cette construction dura jusqu’en 1521, avec la construction de la Chapelle des Evangélistes (sur le bas-côté Sud).

La Réforme

La Réforme, déclenchée en 1517, atteignit très vite l’Alsace : en 1524, le culte fut célébré pour la première fois en langue populaire à Saint-Thomas et la Sainte-Cène distribuée sous les deux espèces. Malgré tous les soubresauts de l’histoire régionale, Saint-Thomas devint une église consacrée au culte luthérien et l’est restée jusqu’à aujourd’hui.

Deux personnalités exceptionnelles marquèrent le sort de la ville de Strasbourg : le « Stedtmeister » Jacques STURM (1489 – 1553), maire, fondateur de l’Université de Strasbourg (en grande partie financée par le Chapitre de Saint-Thomas – son successeur direct étant le Gymnase Jean Sturm, nommé d’après son premier directeur) et Martin BUCER (1491-1551), le réformateur de la Ville, pasteur successivement à Sainte-Aurélie et à Saint-Thomas. L’un et l’autre consacrèrent leurs vies à essayer de concilier les différentes tendances protestantes entre elles, en voyageant à travers l’Europe. Lors de la paix dite de l’Interim (1548), imposée par Charles Quint, Bucer et Sturm furent d’avis opposé. Jacques Sturm réussit à obtenir des concessions qui évitaient le pire, une guerre frontale entre la ligue luthérienne et les armées de l’empire romain germanique. Bucer ressentit cela comme une trahison, et il continuait à vitupérer contre cette paix. Finalement, Bucer dut fuir Strasbourg en 1549, il se réfugia en Angleterre, où, peu de temps avant de mourir, il participa à la rédaction du « prayer book » anglican.

L’Édit de Nantes

En 1598, le roi Henri IV promulgua l’Édit de Nantes, salué comme un premier Edit de tolérance pour la minorité religieuse des protestants français. Cet Édit ne concernait pas l'Alsace, qui n'était pas encore française. En 1685, cet Edit fut révoqué par Louis XIV, ce qui déclencha une guerre civile en France, et notamment la difficile guerre des camisards dans les Cévennes.

Les Traités de Westphalie

En 1648 furent signés les Traités de Westphalie. Marc OTTO, un chanoine du chapitre Saint-Thomas, fait partie des signataires de ces traités de paix. Ces Traités, qui mettaient fin à la guerre de trente ans qui avait ensanglanté l’Alsace, devaient aussi marquer le début du rattachement de l’Alsace à la France. Ces traités gelaient en quelque sorte les frontières confessionnelles. Ils stipulaient que les Princes n’avaient plus le droit d’obliger leurs sujets à changer de confession.

Louis XIV ne pouvait imposer sa foi catholique à l'Alsace. Malgré cela, le statut des protestants ne fut pas facile en Alsace, le Roi essayant par tous les moyens de regagner les protestants à la foi catholique. Une loi permettait à un groupe catholique de revendiquer le chœur d'une église protestante lorsqu'il comptait sept familles dans un village. Cette mesure fut à l'origine des églises simultanées, où les protestants célébraient leur culte, suivis ou précédés par la communauté catholique qui y célébrait sa messe. Cette cohabitation était marquée par de nombreux conflits, même si au début du 20e siècle, Albert Schweitzer y voyait un signe d’œcuménisme.

Le Grand'Orgue Silbermann

Progressivement, les protestants et les catholiques apprirent à vivre les uns avec les autres. Sur le plan musical, on sait que de nombreux organistes passaient sans problème d'une église catholique à une église protestante et vice-versa. Le grand'orgue de Saint-Thomas fut construit par Jean André Silbermann en 1740. Mozart le loua pour la beauté de sa sonorité, lors de son passage à Strasbourg en 1778.

Orgue Sielbermann Strasbourg

Photo Christophe Meyer

Le tombeau du Maréchal de Saxe

Une année plus tôt, toutes les autorités civiles et religieuses étaient présentes à Saint-Thomas : c’est en effet d’août 1777 que date l’installation du tombeau du Maréchal Maurice de Saxe dans l’église. Cet homme, fils naturel d’Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne et de la comtesse Marie-Aurore de Koenigsmark, né en 1696, fit une brillante carrière militaire au service … de la France. La victoire de Fontenoy (11 mai 1745) le rendit célèbre. A sa mort au château de Chambord en 1750, les autorités religieuses catholiques rappelèrent à Louis XV qu’il n’était pas question d’un enterrement à St-Denis, le défunt étant un bâtard, un allemand, et de surcroît un luthérien. C’est alors qu’il fut décidé de lui proposer une digne sépulture dans « la cathédrale du protestantisme français », à Saint-Thomas. Le sculpteur Pigalle mit plus de vingt ans pour achever le monument funéraire. Son inauguration en grande cérémonie et le transfert du corps du Maréchal furent, à quelques années de la révolution, la première reconnaissance publique du fait protestant français depuis la révocation de l’Edit de Nantes.

En 1787 fut promulgué un nouvel Edit de Tolérance royal. Puis vinrent les soubresauts de la Révolution française. Au début et jusqu’en 1792, les protestants accueillent favorablement les idées de la Révolution Française. Mais la vente des « biens nationaux » les inquiète : le juriste Christoph Guillaume KOCH (son monument funéraire se trouve dans la partie Nord-Est de l’église) réussit à obtenir le décret du 17 août 1790, qui exempte les biens protestants de cette vente. Sécularisés depuis la Réforme, les revenus de ces biens sont employés pour des buts d’utilité publique, pour les écoles notamment.

C'est Napoléon 1er qui va structurer le protestantisme français avec les articles organiques (8 avril 1802). Les luthériens vont se voir dotés d'un consistoire supérieur. L'Eglise Réformée sera dotée d'un statut différent, synodal, qui prendra sa structure régionale en 1895. Dans leurs grandes lignes, ces structures sont encore en place.

Les Guerres

En 1871, l'Alsace-Lorraine est annexée par le Reich. La guerre a détruit l'église du Temple Neuf, où se trouvait une immense bibliothèque et le meilleur orgue Silbermann. L'état allemand reconnaît le concordat (pour l'Eglise Catholique) et les Articles Organiques (pour les Eglises Protestantes). Les Eglises sont réorganisées en fonction de la nouvelle donne politique : l'Eglise Luthérienne se sépare de l'Eglise Luthérienne de Montbéliard et de ses paroisses du territoire de Belfort, mais intègre les paroisses du Ban de la Roche.

Le XXe et le XXIe siècle

Les relations avec le protestantisme français subsistent. Ainsi, le jeune Albert Schweitzer fera des études à Paris et à Berlin ! Très doué, il est connu comme organiste et musicologue, il prépare simultanément un doctorat en Philosophie (sur Kant) et en Théologie. Directeur du séminaire protestant, enseignant à la Faculté de Théologie, vicaire à Saint Nicolas, il entreprend à la stupéfaction générale des études de… médecine en 1905 : ayant lu un appel poignant dans le « Journal des Missions Evangéliques » de Paris, il a décidé d’être médecin au Gabon… ce qui ne sera pas facile : non en raison de sa nationalité allemande (les missions protestantes travaillaient en étroite collaboration, notamment la SME avec la Suisse et la Grande Bretagne), mais en raison de ses convictions théologiques libérales.

En raison de la proximité du séminaire protestant, les relations entre Saint-Thomas et le futur prix Nobel sont constantes. C’est ainsi que celui-ci conçoit l’orgue de choeur, à traction pneumatique, qui est installé en 1906 dans l’église par la manufacture Haerpfer-Dalstein. Ce deuxième orgue permet d’accompagner la monumentale chorale paroissiale. Albert Schweitzer va lutter avec âpreté contre un projet de rénovation de l’orgue Silbermann. Cet orgue est en mauvais état, des registres ne fonctionnent plus. Les responsables de la paroisse aimeraient le transformer en un orgue symphonique romantique. Le projet, plusieurs fois retardé, sera réalisé lorsque Schweitzer sera au Gabon, en 1927…

1905 : en France est promulguée la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Prêtres, rabbins et pasteurs ne sont plus payés par les pouvoirs publics. En 1918, l'Alsace-Lorraine redevient française. Malgré la pression des partis laïcs, le statut religieux et scolaire de l'Alsace Lorraine est maintenu. Le statut régional particulier sera suspendu entre 1940 et 1945, période sombre de l'histoire de l'Europe, mais sera restauré après la deuxième guerre mondiale.

L'église Saint Thomas a connu quelques réaménagements majeurs depuis 1945.

En 1964 fut créée l’association des amis de l’orgue Silbermann de Saint Thomas, ayant pour objectif la restauration de l’instrument. Albert Schweitzer fut membre d’honneur de cette association, mais il devait décéder à Lambaréné en 1965. L’orgue fut inscrit à l’inventaire des Monuments historiques. Après de longues et parfois âpres négociations, le projet était enfin finalisé. Les travaux furent réalisés par le facteur d’orgue Alfred Kern en 1979. Récemment, en 2009, un relevage de l’orgue a été réalisé par la manufacture Quentin Blumenroeder.

En 1985, les vitraux murés du choeur furent ouverts. Le vitrailliste Gérard Lardeur conçut et installa des vitraux reprenant le symbolisme de la lumière, qui mettent en valeur le monument représentant le Maréchal de Saxe.

En 1987, les Églises protestantes d’Alsace se dotaient d’un nouvel outil de travail : le « quai ». Les services, bureaux et directions des Eglises se retrouvaient tous sous le même toit, au 1, quai Saint-Thomas. Dans la foulée, l’église Saint-Thomas fut également restaurée et transformée pour un usage polyvalent. La communauté paroissiale compte entre 900 et 1000 membres (3000 au début du siècle), et n’a plus besoin de tous les bancs. La nef latérale Sud est libérée pour servir d’espace d’exposition. De nouveaux bancs permettent d’accueillir des concerts. Un nouvel éclairage met en valeur l’architecture gothique originale de cette église.

L’église Saint Thomas a accueilli des temps forts de l’œcuménisme :

En octobre 1988, lors de sa visite à Strasbourg, le pape Jean-Paul 2 est venu se recueillir à l’église Saint Thomas et y rencontrer les Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine.

http://www.ina.fr/economie-et-societe/religion/video/CAB88038939/pape-resume-journee.fr.html

Le 22 avril 2001 a été signée à l’église Saint Thomas une charte œcuménique. Cette charta oecumenica invite les églises catholiques, orthodoxes et protestantes en Europe à vivre toujours plus l’unité des chrétiens.

En 2006 la création de l’Union des Eglises d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) rassemble l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine – EPCAAL (à laquelle appartient la paroisse Saint Thomas) et l'Église protestante réformée d'Alsace et de Lorraine – EPRAL.

En 2008 est entreprise une restauration de l’extérieur de l’église.

En 2009, à l’occasion du rassemblement « Protestants en Fête » organisé à Strasbourg (30 octobre au 1er novembre), quatre nouvelles cloches ont été installées dans le beffroi de Saint Thomas. Coulées à la Fonderie Bachert de Karlsruhe, elles ont pour nom : Amour, Foi, Espérance et Témoins ensemble.

Depuis le 30 novembre 1993, une association "Accord et Fugue de Saint-Thomas" gère l'animation culturelle du lieu, qui reçoit chaque dimanche deux cultes luthériens, l'un en allemand et l'autre en français. Depuis juin 2011 un moment de recueillement quotidien est proposé entre 12h10 et 12h30.